From Irène K

J’ai côtoyé Marguey pendant deux ans, entre 1968 et 1970, au lycée (LFNY), puis j’ai eu avec elle tout juste trois rencontres au cours de ces 15 dernières années, plus une virtuelle en 2021. Si peu, vraiment. Et pourtant elle est toujours restée très présente dans mon esprit, et m’impressionnait à chaque fois que j’avais de ses nouvelles.

C’était au départ le souffle de liberté et de non-conformisme qui lui faisait une aura particulière dans notre petit monde lycéen. L’écolière n’était pas sage comme sur la photo, elle portait sur les choses un regard décalé, un peu amusé, fumait des joints, tout en étant, accessoirement, une excellente élève, cumulant les filières langues anciennes et scientifique. Elle ne faisait rien comme personne. Qui d’autre allait à dix-sept ans terminer son bac de l’autre côté de l’océan, dans un pays d’une langue qu’elle ne parlait pas, toute seule, loin de sa famille ? Un peu plus tard je recevais d’elle une carte postale du Caire où elle habitait, disait-elle, chez une tante, et apprenait l’arabe avec un entrain que le grec ne lui avait jamais inspiré. Une carte de Noël de sa mère à mon père encore une ou deux années plus tard la disait mariée au Proche-Orient à un Libanais chrétien. Puis plus rien ; c’est beaucoup plus tard que j’ai appris que Marguey vivait à Paris, mariée, avec des enfants, et qu’elle avait opté pour une carrière dans des institutions financières.

Le site des anciens élèves du lycée me l’a fait retrouver sous un autre jour qui me parlait de sa fidélité et de son goût des autres. Une fidélité qu’elle partageait avec cette sœur Nathalie qui avait porté au départ le site du Lycée par sa contribution logistique. Marguey y a à plusieurs fois donné de ses nouvelles, sur un ton naturel et sans prétention, et très personnel, dans le beau texte qu’elle a consacré à la mort de son frère. Puis elle a, toujours avec ce naturel familier alliant privilège et simplicité, marqué notre réunion de classe 36 ans après le bac, en 2007, de l’empreinte Yates en conviant tout le monde pour un petit déjeuner sur la terrasse en attique de l’appartement de ses parents. C’est ensuite, entre 2008 et 2012, que je l’ai rencontrée deux fois à Paris, dont une fois avec toi, pour une sortie au théâtre de l’Odéon, avec mon ami George. Nous nous connaissions à peine, et pourtant le contact s’établissait sans solution de continuité. Sa trajectoire impressionnante n’a pas introduit de distance.

De nouvelles lettres au site de l’AALFNY m’ont appris ensuite votre départ en Extrême-Orient, puis votre installation à Lisbonne. Deux rebondissements à l’image de ceux des débuts de l’âge adulte, toujours aussi libres et déterminés. Je me suis dit à l’époque que cet appétit de vivre, surtout lorsqu’elle était encore seule à l’assumer, n’aura pas toujours été facile à vivre et qu’elle a dû plus d’une fois payer de sa personne. A ce prix, cinq vies plutôt qu’une. Je lui imaginais une résilience à l’image de sa mère – tout à l’opposé de la fin venue l’arracher beaucoup trop tôt. Elle est à coup sûr parmi les personnes qui ont enrichi ma vie.